Au sein d’une “métamorphose numérique globale de nos sociétés (…), les infras sont les nerfs, la data est le sang”. La métaphore évoquée par Francis Jutand dans son rapport d’étonnement produit lors du lancement de DataCités tranche avec la représentation classique et réductrice (or noir, pétrole, carburant, …) qui prévaut en général quand on évoque les enjeux de la donnée en partage. La mission que s’est fixée DataCités, c’est précisément d’assumer la rupture épistémologique dans laquelle nous bascule la “métamorphose”. Ce “sang” d’une société qui acte le numérique comme le nouveau paradigme, c’est bien sûr ce que l’exploration DataCités a en tête quand Bruno Marzloff fait état d’une “mise en commun des représentations de la donnée, de son partage, de sa circulation et de ses réutilisations”.
“Les élus vont devoir se mobiliser sur cette question et l’étonnement de les voir dans ce genre de démarche ne doit plus perdurer demain.” Le propos de Luc Belot est un défi et une première pierre dans ce projet qui en appelle à toutes les forces de tous acteurs de la Cité.
Chacun des auteurs de ces rapports d’étonnement, chacun des intervenants dans la salle aussi, a su dire que l’ambition du projet est nécessaire et considérable. Chronos et OuiShare sont conscients des enjeux, de la charge qu’elle porte. Ils attendent aussi de la participation de tous que cette ambition advienne.
Rendez-vous dans quelques mois pour fixer de nouvelles ambitions au vu d’une production et d’une communication à laquelle nous nous sommes déjà attelées.
Le Lab Chronos + OuiShare

Luc Belot, député Maine & Loire

en charge par le Premier Ministre d’une mission “Smart City”

“Les élus ont rarement l’occasion de participer à ce genre de programme. Le fait précède toujours la loi. Avec le numérique ce décalage est encore plus important. L’étonnement sur le champ de la data et de la smart city est déterminant mais il peut aussi être très décevant (car pensé de manière peu globale dans certaines villes). Le positionnement de chacun des acteurs présents dans DataCités est intéressant. Les élus vont devoir se mobiliser sur cette question et l’étonnement de les voir dans ce genre de démarche ne doit plus perdurer demain. Le cas des communs est venu sur la table très vite mais ne semble pas prêt législativement. La question du partage des datas urbaines en est au même stade. Il ne s'agit pas seulement de savoir comment exploiter la data. il faut déterminer la manière de vivre ensemble (doit-on opposer la smart city et le "stupid village" ?), donc définir la gouvernance de la data Il faut sortir de cette dialectique d’opposition Uber versus Taxi par exemple. Trouvons des leviers de synchronisme de ces démarches plutôt que de les interdire et de les opposer. Cette ambition doit animer le programme.”

Amandine Crambes, ADEME Service Organisations Urbaines

“Pourquoi l’ADEME s’intéresse-t-elle au programme DataCités ? La démarche de l’ADEME est sectorielle mais représente la sphère de la ville et du territoire dans son ensemble. La data représente un trait d’union même s’il ne s’agit pas de notre cœur de métier. Notre rôle est également d’accompagner les collectivités locales dans les transitions (écologique, numérique, …). Lancer une transition globale implique de se mobiliser sur des sujets comme ceux du programme DataCités. L’ADEME travaille d’ailleurs avec beaucoup d’acteurs présents dans la salle, car on ne peut pas passer à côté de ces nouveaux leviers numériques qui sont également des opportunités de travail alternatives pour l’ADEME (ex : Fabrique des Mobilités). Le rôle de l’ADEME est aussi de faire le lien avec l’Etat, les acteurs privés, les petites collectivités. Son implantation à la fois locale et globale lui permet de se donner cette ambition. Le numérique n’est pas une finalité. L’ADEME a vocation à porter l'inscription du numérique comme outil au service de la cité dans le réel.”

Jean-Marie Bourgogne, DG OpenData France

“OpenData France représente l’ensemble des collectivités locales (petites ou grandes) dans le mouvement vers l’ouverture des données. Il aide plutôt les petites collectivités à entrer dans le mouvement. Comment ces territoires à faible capacité d’ingénierie peuvent-ils se greffer à la dynamique ? C’est le rôle d’OpenData France, qui a réalisé une étude sur ce point pour Axelle Lemaire. Des dispositifs vont être proposés et expérimentés par la suite pendant 1 an sur 8 territoires pilotes. Pour le moment les données privées ne sont pas concernées par notre travail, mais l’enjeu est bien de se poser la question de la gouvernance de la donnée territoriale en général. La smart city peut proposer des clés d’entrée très différentes, ouvertes ou fermées, dans le monde de l’open data. Ce vocabulaire doit être plus lisible. Le statut de la data (pure/impure, rivale/non rivale, …) est un enjeu déterminant pour le programme. Il doit servir à poser les bases d’une lisibilité nouvelle. De cette logique émergera des services et des postures des acteurs publics et privés très différents.”

Q. Bertil de Fos : Dans votre dernier rapport vous avez énoncé le déplacement peut-être trop important vers une logique de l’offre dans la diffusion de l’open data. Pourquoi ?

“On ne s'est pas assez questionné sur la demande. On a ouvert un ensemble de données dans l’optique de produire de l’innovation. Dans les faits, le résultat reste moyen. Les citoyens ne se sont pas saisis autant qu'espéré de cette matière. Il faut trouver les leviers de cette demande (cantines, allergènes, activités périscolaires, cadre de vie, …). La demande est très différente parfois du point de vue du citoyen. L’open data doit pouvoir cibler ces demandes alternatives. Il faut entendre ces besoins pour trouver une cohérence locale.”

Gaël Musquet, Open Street Map

“En quoi la base adresse est-elle représentative de l’enjeu de la donnée commune ? Open Street Map devant la carence de base adresse nationale commune, a lancé sa démarche de recueil afin de pousser les pouvoirs publics à adopter une posture plus ouverte et ambitieuse sur la gestion de ces données. Le résultat, c’est la BAN (Base Adresse Nationale), base de référence nationale issue d'une convention signée entre l'IGN, le Groupe La Poste, l'État et OpenStreetMap France. L’exemple est inspiré du Danemark qui s’est intéressé très tôt à la question et a réussi à promouvoir un modèle universel et équilibré. Les données sont mises à disposition uniquement sous licence ODbL (partage à l’identique) comme les données OpenStreetMap. La licence ODbL n’empêche absolument pas les réutilisations commerciales. Elle impose simplement de mentionner la source des données et de partager toute amélioration des données sous la même licence.

C’est la preuve que la notion de bien commun est déjà présente dans nos institutions. Pourquoi ne pas aller plus loin ? Pourquoi ne pas faire preuve de plus d’audace ? On réfléchit beaucoup en France sur l'innovation mais on tue beaucoup aussi. La donnée commune est un sujet qui a déjà fait des victimes. Sur Waze, par exemple, on a tué Bison Futé qui était capable de proposer une solution alternative mais trop peu soutenue par les pouvoirs publics. On peut pleurer sur la force de frappe de Google ou essayer de prendre conscience des leviers à notre disposition. La difficulté d’innovation vient aussi - parfois -  des fonctionnaires eux-mêmes.”

Francis Jutand, DGA Telecom ParisTech

“L'innovation vient d’une avancée individuelle et d'un travail coopératif. En ce sens le programme DataCités répond bien à une ambition collective. Nous sommes dans une métamorphose numérique globale de nos sociétés. Le numérique va cristalliser tous les problèmes  (industries, ville, santé, …). Il va passer tout cela à la moulinette pour nous faire avancer sur un spectre élargi. Il faut donc traiter cette question du statut de la data pour arriver à avancer dans le bon sens.

L’analogie avec le corps reste toujours une construction intellectuelle de référence pour l’Homme. Le numérique n’y échappe pas. Les infras sont les nerfs, la data le sang. Le sang, s’il est indispensable comme flux, peut aussi porter des toxines. Certaines datas pourraient se transformer en toxines. La question du bien commun est donc aussi déterminante que les datas elles-même. Nos sociétés ont évoluées vers la délégation de l’intérêt général mais la complexification de leur fonctionnement, de leur représentation, les obligent à redéfinir ce qui fait bien commun. Ensuite, pour administrer le bien commun il faut définir sa gouvernance, sa norme. Dans cette définition, les médias sont des amplificateurs de tendance, des fluidificateurs de sujets. Ces médias se multiplient. Ils véhiculent des éléments de langage, ils limitent notre capacité à creuser car ils sont poussés à la vulgarisation, le consommable. On doit continuer d’avoir notre vision critique et ne pas trop se reposer sur les médias. Quel est le modèle économique ? Ces applications nouvelles reposent beaucoup sur la publicité. On ne peut pas bâtir l’évolution d’une société sur la publicité. C’est un poste  de dépense, un levier, mais pas un tout. De plus la publicité pousse vers la société de consommation. La tendance de cette société va se tarir et il faut donc redéfinir nos règles. Sans publicité, il faut des abonnements. Avec un abonnement, on s’intéresse à la valeur de ce qu’on achète contrairement à la publicité qui déconnecte. On peut imaginer un décalage du centre de gravité donc ?

En conclusion, la data est un élément de lien entre nos défis. Il faut inventer les règles de gestion de ce lien pour pouvoir faire avancer durablement nos sociétés. Une info c’est donner une data à quelqu’un. La data va devoir s’inscrire dans une économie mouvante.”

Vincent Giret, rédacteur en chef adjoint, Le Monde

“Premier étonnement que je souhaite partager avec vous : je suis venu dans ce lieu il y a longtemps pour acheter une voiture. Le monde bouge bien !

Ma seconde surprise est le décloisonnement du débat, comme en témoigne la multiplicité des acteurs qui se sont exprimés ce matin. On retrouve ici des logiques nouvelles et sans doute fécondes.

Les médias sont des passeurs. Il ne sont pas des influenceurs. Les data recouvrent des enjeux très variés. Les médias comme Le Monde doivent servir à faire parler des acteurs. Ils doivent accompagner la mutation par le dialogue.

Les médias restent des maisons lourdes et ont des liens avec la data. Ainsi la création récente du pôle data du Monde va dans ce sens, même s’il est pour l’heure cantonné à la pub plutôt. Quand aura-t-on un pôle data de l’éditorial ? On vit trois ruptures communes aux villes et aux médias : technologique, des usages, et celle des modèles économiques. La compréhension du monde numérique est le passage obligé de sa maîtrise.

Pourquoi le Monde s’intéresse à la smart city et donc aux data afférentes à ce nouveau monde ? Pour nos lecteurs, la data est un sujet important, avec des enjeux (citoyen, transformation, …). C’est un champ majeur. Pourtant aucune équipe n’y était dédiée au Monde. On essaye donc de capter cette thématique différemment. On va chercher des partenaires et on crée des espaces de discussion, dans lesquels d’ailleurs nous vous invitons à participer. On a par ailleurs créé des prix d’innovation pour nous ramener des histoires, pour donner à voir. On récompense des projets (pas des idées) qui nous permettent d’appréhender ces transformations. On était très “français” jusqu’ici, mais demain nous allons nous ouvrir en étendant un concours à l’international et une manifestation au printemps prochain à Singapour !”